Mokusatsu n’est pas une injonction japonaise demandant fermement de garder le silence. C’est une expression composée de l’élément « silence » et de l’élément « tuer ». Cela peut donc potentiellement signifier « opposer une fin de non-recevoir » ou bien « s’abstenir de tout commentaire ».
Pourquoi nous vous parlons de cet exemple ? L’histoire – ou certaines personnes – voudrait que cette ambiguïté soit à l’origine de la décision des États-Unis de lancer les deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Une erreur de traduction explosive.
Cela voudrait dire que, sans cette terrible erreur de traduction, présentée par les linguistes comme la plus grave erreur de traduction de tous les temps, on aurait pu éviter l’une des pires tueries du XXe siècle. Que s’est-il passé pour qu’une simple interprétation erronée provoque un tel déluge de radiations ? Nous sommes à Potsdam en juillet 45. Une conférence capitale se tient dans cette ville. Les alliés réunis adressent un ultimatum au Premier ministre japonais. Que veulent-ils ? Une totale et inconditionnelle capitulation de l’empire nippon À Tokyo, en réponse à cet ultimatum, le Premier ministre Kantaro Suzuki communique alors la réaction des autorités japonaises. La réponse dit en substance que « son gouvernement s’abstient de tout commentaire pour le moment ». Pour se faire comprendre des alliés, il utilise l’expression “mokusatsu”, un terme très polysémique. Les agences de presse japonaises et les traducteurs lui donnèrent le sens de « traiter avec un mépris silencieux », ce qui faisait dire au Premier ministre nippon : « Nous rejetons catégoriquement votre ultimatum ». Nous connaissons la suite des événements. Les Américains y virent une fin de non-recevoir. Dix jours plus tard, ils larguent leurs engins de mort sur les villes japonaises, semant l’horreur parmi les civils innocents.
Cependant, penser qu’une erreur de traduction, même de cette importance soit la cause réelle de ce bombardement… Les Américains, au-delà de ce qu’ils avaient compris des Japonais, étaient avant tout soucieux de gagner la guerre contre les Japonais le plus rapidement possible et surtout avant la Russie.
Dans la Vulgate (Bible), Jérôme insère un texte de l’histoire de Tobie qui diffère du texte grec. Sa théologie du mariage est ainsi née d’une erreur de traduction, et est devenue un fait acquis en créant sa propre signification. Nous sommes ici entre paresse du contresens et erreur volontaire. Saint-Jérôme faisant ici preuve de « mauvaise foi » en quelque sorte. Dieu que c’est complexe de bien se faire entendre.
Jérôme a eu d’autant plus d’influence que sa vision (myopie) s’accordait, à l’époque, avec une vision pessimiste de la sexualité, notamment son rôle au sein du couple marié, alors même que son interprétation repose sur une erreur de traduction. Jérôme est aussi, du fait d’une mauvaise traduction de Matthieu, un des pères de l’idée que le célibat est supérieur au mariage – le fait est, cela peut se discuter.
Fort heureusement la persistance de l’erreur de traduction ne change pas automatiquement et fondamentalement la compréhension de certains textes à caractère historique, ceci parce que la compréhension, relativement souvent, n’est pas subordonnée de manière univoque à l’erreur de traduction. La traduction est un outil puissant, un travail de déchiffrement. Elle n’est pas pour autant une fin en soi. Certes il ne faut pas faire de certaines erreurs de traduction toute une histoire, mais le traducteur a un devoir de fidélité et de qualité qui fait de son métier un maillon important dans le jeu de communication que se livrent les hommes.
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